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Pour trouver dans notre passé une époque plus manifestement vouée à l’anti-peinture, c’est aux années 1916-1922 qu’il faut remonter et au tumulte causé par le Mouvement Dada, né à Zürich : Dada ou la négation de toute hiérarchie spirituelle, Dada ou le nihilisme total. Nul adhérent à Dada ne revendique le titre d’artiste. A l’art, à la raison, Dada oppose la destruction, l’esclandre, l’exaltation du ridicule. Ses mots d’ordre sont rire, avilir, provoquer. Dada revendique dans tous les domaines « l’idiotie pure ». (Manifeste de 1921).

J’avoue qu’à notre époque « l’idiotie pure » et la négation de l’art se sont, si l’on peut dire, embourgeoisées et ne sévissent totalement et avec quelque virulence qu’en certains milieux de boy-scouts de tout âge qui s’efforcent à la provocation. « L’idiotie pure » se limite à la négation du métier du peintre considéré comme une exigence anachronique parfaitement absurde, le geste de peindre étant plus important que le contenu du tableau. D’où la prohibition de toute représentation de la réalité, l’esthétique de la devinette et, comme résurgence de Dada, le mépris de ce qui est authentique, l’acceptation de la facilité, l’exaltation de la nullité couronnée avec la complicité de cette grande bête d’opinion publique verrouillée dans son ignorance. Un virus filtrant qui mortifie les esprits réputés solides. La disette d’une peinture mâle et saine.

Elle existe cette peinture saine de la réalité vivante dans une sorte de clandestinité voulue par une critique si étroitement liée aux prêtres de la religion informelle qu’elle en paraît comme miraculée.

Des statisticiens, qui paraissent sérieux, évaluent à quarante mille le nombre des « peintres » vivant en France. Quarante mille ? Un peu plus, le taux de leur natalité augmentant non moins rapidement que la prolifération des chanteurs sans voix.

Quarante mille… c’est-à-dire une trentaine d’élus dont il n’est pas aventureux de retenir les noms lorsqu’on établit le bilan des profits et faillites de l’actuelle génération des artistes engagés sur les deux versants de la quarantaine.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que je me suis permis d’enrôler Paul Collomb dans cette équipe de maquisards de la peinture-peinture pour qui la nature n’est pas une gourgandine à éviter, ni l’art de peindre une frivolité, même au temps de la sorcellerie nucléaire.

Loin de moi la prétention – je ne suis pas assez courtisan – de laisser croire que Paul Collomb représente pour moi toute la peinture d’aujourd’hui, toute la résistance à l’occupant « abstrait » et que la délectation procurée par un tableau bien peint ne m’est dispensée que par cet esprit vif et clair. Et sérieux, ce qui ne gâte rien.

Dans tout ce qu’entreprend Paul Collomb, dans toutes les difficultés spéciales au sujet qu’il choisit et dont il devient maître, dans l’organisation de ses sensations, il apporte tant de naturel, c’est-à-dire de sincérité, de courage, d’aveux du bonheur de peindre et aussi tant de sentiment « cette vertu oubliée » disait Bonnard… que de telles qualités et prérogatives ne peuvent que susciter l’estime et l’admiration de ceux qui prétendent encore sentir la peinture. Et ne se croient pas volés parce qu’un tableau leur donne du plaisir.

L’éloignement de Paul Collomb de la facilité, de la vulgarité, de l’ordinaire, sa réprobation d’une peinture qui sent le renfermé ou n’a que le monstrueux ou l’abscons comme objet, confèrent à Paul Collomb un petit air révolutionnaire qui n’est pas pour déplaire à certains. Etre révolutionnaire, la palette au poing, c’est tenter de restituer sa dignité et sa fonction à un langage pictural, moyen de communion entre l’artiste et le spectateur; c’est ne pas faire la fine-bouche devant l’héritage-musée et de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire l’héritage-tradition; c’est, ne pas se targuer d’être le précurseur destiné à marquer son siècle mais un aboutissant des fulgurantes éclosions du XIXe siècle. C’est surtout proposer son propre bien comme du greffé sur du déjà greffé… ainsi qu’il advint à travers les siècles, si l’on en juge par l’évolution de l’art, d’un maître à un autre maître.

Mais, Paul Collomb, ce terrien adhérant de tout son être aux moindres éléments du monde sensible, comme aux plus nobles, est sans conteste une exception dans son commando de réfractaires à l’incongruité, à l’infantilisme, au mal torché.

Il a le privilège – et le mérite – de s’être hissé, et ce n’est pas d’hier, jusqu’aux étages supérieurs dans la hiérarchie de la peinture. Histoire de donner raison à Paul Cézanne: « L’aboutissement de l’art, c’est la figure ».

Paul Collomb est souvent un peintre de figures. Je le soupçonne de ne vouloir être que cela. C’est une engeance rare et qui prolifère peu en ce siècle de la vitesse où l’ébauche-quart d’heure est reine et où le bâclé est rémunérateur.

En dix, vingt… vastes compositions, les paysages, les intérieurs sont fonction de la présence humaine dans sa vérité particulière. L’homme n’est jamais l’accessoire du décor. Il en est la justification. Il n’est pas la tache complémentaire du bleu d’un ciel, une verticale supplémentaire de l’arbre, la silhouette morte d’une nature-morte. Il est un type d’individu. La danseuse, la marchande de fleurs, le paysan savoyard, le pêcheur, le gardien de square, la mère X… sont des types.

Pour que le personnage d’un tableau devienne un type, il faut, disait, je crois, Théophile Silvestre à propos de Delacroix : « …que la nature du peintre fermente dans celle du modèle comme le ferment dans la pâte. »

Plus que trois pommes ou deux douzaines d’anémones, même bien peintes, une composition animée de Paul Collomb doit avoir une puissance communicative capable d’introduire chez le profane quelques germes d’initiation à la vraie peinture.

Texte écrit par George Besson en 1967 pour une exposition Paul Collomb au musée d’Annecy.